Le portrait d’Akim fait partie d’une série de portraits d’habitants de Saint Denis réalisés en collaboration avec ICF Habitat La Sablière.
Christine Boulanger dessine et écrit des portraits. Elle a crée Visages d’en Faces début 2016 pour valoriser son quartier à travers ses habitants et pour lutter contre les a priori. Chaque portrait est une bouteille à la mer et une invitation à plus de solidarité.
Akim’s portrait is part of Christine Boulanger’s series on the inhabitants of St. Denis, in collaboration with ICF Habitat La Sablière.
Christine interviews the people she draws, creating both visual and written portraits of her subjects. She started Visages d’en Faces in early 2016, to promote her neighborhood and combat prejudice.
The English translation of this text is below the French original.
Akim
par Christine Boulanger
Déjà rassasiée avec un délicieux gâteau de riz, je me demande comment venir à bout des trois autres, posés tout chauds à côté de mon café. Heureusement, personne n’a vu venir le petit frère d’Akim, qui s’éloigne déjà avec un gâteau dans la bouche : je laisse lâchement mon petit allié se faire gentiment gronder.
Akim a bientôt dix ans. Ses parents ont quitté sans aucun regret la cité des 4000 quand il avait deux mois. Depuis, la famille s’est aggrandie et on se sent à l’étroit. Mais « ici, on se dit bonjour, on se respecte ». Avec quelques recadrages : les vendeurs sur les chaises à la sortie de l’ascenseur ne proposaient pas exactement des tours Eiffel en plastique. Ils sont partis avec l’installation d’un interphone et l’arrivée de Mohamed qui a remplacé la gardienne tombée malade. « Il est bien : on lui parle, il écoute. » Ahmed, le père d’Akim, poursuit : « Les environs deviennent une petite Défense avec Generali, SFR, Arcelor, Xerox… Il y a même des plateaux de télévision. »
Akim : « On a beaucoup de choix pour les parcs, des fois je sais pas où aller : il y a des terrains de basket comme au parc des Acrobates, ou le Temps des Cerises où on se fait moins mal quand on tombe. Je préfère le foot, même si je suis plus doué au basket où je ne perds pas les ballons bêtement. L’autre jour, de une, je ne voulais pas être gardien et on était déjà entrain de perdre 5-1. Le ballon est passé en-dessous de moi. Mais maintenant je peux plus faire ces erreurs au foot : avant j’étais mauvais joueur mais comme j’étais le plus jeune, les autres essayaient de ne pas trop m’énerver. »
Sa mère confirme : « Je l’appelais : ‘Tu vas rester là pleurer? Monte !’ Et lui répondait : ‘Non, je joue !’ Et puis Il a fini par comprendre que dans le jeu, il faut perdre ou il faut gagner. »
Akim : « Maintenant la règle c’est : quand le ballon touche la barre transversale, le joueur va aux buts. »
Quelle influence un prénom a-t-il sur une vie ? Akim signifie « juge » ou, comme précise sa mère, « celui qui donne la raison à celui qui la mérite, qui a bien travaillé… ». Ahmed, le père d’Akim complète avec un sourire « … et non pas à celui qui connaît le patron, vous voyez ? »
Akim : « J’ai un ami, tout le monde dit qu’il est gros. Mais moi je dis qu’au moins, il a beaucoup de force alors que moi, je suis tout maigrichon. Le seul problème, c’est qu’il est épuisé que tout le monde le traite. Toute la classe est contre lui. Donc moi j’ai pris sa défense. »
Sa mère est à la fois fière et pas toujours rassurée: « Akim n’a pas de limite. Même là où il ne comprend pas, il va y aller ! En vacances aux Comores, il voit des enfants avec un paquet de cigarettes : ‘Ça se fait pas ! Vous faites quoi ?’ »
Les enfants en question parlent le comorien, un mélange d’arabe, de swahili et français. Mais la barrière de la langue n’arrête pas Akim.
Sa mère : « Je lui dis ‘T’es pas dans le tort, la cigarette c’est dangereux. Mais la dame défendait ses enfants. Chacun son rôle, c’est à elle de réagir. Certains ne voient pas la différence entre le bien et le mal. Est-ce que ça vaut le coup d’y aller toujours à fond ?
Quand quelqu’un te tape, tu tapes pas, n’insulte pas celui qui tape et t’insulte. Mais maintenant on se retrouve dans un monde, dans certains établissements, où on ne sait pas si on fait une faute de ne pas réagir. Parfois on est obligé de dire à l’enfant : ‘S’il te tape, tu le tapes. Mais c’est pas bien. »
Akim est en CM2. « La maîtresse s’énerve vite quand on fait une erreur. Alors qu’elle dit elle-même que c’est pas grave de faire une erreur. Facile de dire mais pas facile de faire.»
« Elle est là pour vous transmettre des connaissances, pas pour vous aimer » lui rappelle son père. « Il est le premier de la classe depuis le CP, mais au collège, il aura plusieurs professeurs. C’est à toi de gérer ça car tu ne peux pas changer les tempéraments. »
Akim : « Elle cherche pas la raison, elle va directement crier. » Puis : « Faut comprendre, elle prend le TGV tous les jours depuis Lille, elle se lève très tôt. »
Akim veut devenir ingénieur informatique. Un virus sur l’ordinateur familial a été le le déclencheur : « Je savais déjà à quoi servait un fichier ram sauf que je ne savais pas où l’installer. »
Je note avec une attention redoublée ses explications : « Pour vérifier que ça marche, tu dois aller sur les propriétés de ton ordinateur » Jusque là, tout va bien. C’est après que ça se complique. « Les deux gigas ram sont revenus… Tu dois taper dir/s… Avant ça s’appelait ‘com’ et du coup il y avait beaucoup de virus. »
– Ah !
J’ai beau écouter Akim, c’est comme s’il me parlait dans une autre langue.
– Maintenant ça s’appelle ‘exe’ et du coup y a moins de virus. C’est plus sécurisé.
– OK ! Et tu as trouvé ça comment ?
– Sur des forums, mais il y avait très peu de réponses. J’aime bien quand les choses sont difficiles, mais pas impossibles.
Certes… Depuis 20 ans que l’ordinateur est mon outil de travail quasi quotidien, j’ai tout juste compris que ce ne sont pas des lutins qui travaillent à l’intérieur. Je note mentalement de garder le contact avec Akim en cas de pépin…
Au-delà de sa dimension artistique, Visages d’en Faces se révèle être un formidable outil de lien social. Un événement festif a été organisé autour des portraits dans la nouvelle gare Rosa Parks du 19ème arrondissement parisien, avec les habitants et les associations du quartier.
Son action s’étend désormais à d’autres lieux : vous pouvez suivre les projets sur le site ou sa page Facebook.
Rice cakes and RAM in St. Denis
translated by Christine Buckley
Already satiated by a delicious homemade rice cake, I’m wondering how I’m going to finish three more of them, straight out of the oven and placed next to my coffee. Fortunately, no one has noticed the arrival of Akim’s little brother, already making off with a cake in his mouth: I cowardly allow my little ally to take a gentle scolding.
Akim will soon be ten years old. His parents left their housing project known as “Cité 4000”* — without any regrets—when he was two months old. Since then, the family has expanded and their flat in nearby St. Denis feels cramped.
*Cité 4000: Four gigantic towers built in Paris’ northern suburbs in the mid-1960s to house thousands of residents the city could not place elsewhere, notably North African immigrants.
“Here we say ‘hello,’ we respect each other,” says Akim. With a few elements cropped out: the vendors seated in chairs at the building’s elevator exit weren’t exactly selling plastic Eiffel Tower statuettes. They disappeared with the installation of an intercom and the arrival of Mohamed, who came after the previous apartment manager fell ill.
“Mohamed’s good: we talk to him, he listens.” Ahmed, Akim’s father, continues: “The surrounding area is becoming a little ‘La Defense’ [Paris’ major business district], with companies like Generali, SFR, Arcelor, Xerox…there are even a couple of television studios.
Akim says, “We have a huge choice of parks. Sometimes I don’t know where to go: there are basketball courts like at Acrobats’ Park or Le Temps des Cerises where it hurts a lot less if you fall. I prefer soccer even though I’m better at basketball, where I’m not clumsily losing the ball. The other day, for starters, I didn’t want to be the goalkeeper and we were already losing 5-1. The ball passed through my legs. But nowadays I can no longer make this kind of mistake: before, I was a bad soccer player but because I was younger, other kids tried not to get me too worked up.”
His mother confirms this: “I called to him: ‘Are you going to just stay there and cry? Come up here!’ And he responded, ‘No, I’m playing!’ And he ended up understanding that in sports, you either win or you lose.”
Akim says, “Now our rule is: whenever the ball touches the cross-bar, the player who made the error has to be the goalie.”
*
How much influence can a first name have on one’s life? Akim means “judge,” or, as his mother specified, “He who validates those who deserve it, those who have worked hard…”
Ahmed finishes his sentence with a smile, “And not just those who know the boss, you see?”
Akim: “I have a friend. Everyone calls him fat. But me, I say, at least he’s strong…while I’m all scrawny. The only problem is that he’s really tired of everyone talking about it. The whole class is against him. So I stood up for him.”
His mother is simultaneously proud and a bit uneasy: “Akim doesn’t have any limits. Even if he doesn’t understand a situation, he’ll keep going! While we were on vacation in the Comoros he saw some kids with a pack of cigarettes and scolded them: “What are you doing? You shouldn’t do that!”
The children in question spoke Comorian, a mix of Arabic, Swahili and French. But the language barrier didn’t stop Akim.
His mother told him, “You’re not wrong, cigarettes are dangerous. But the lady was defending her children. Everyone has a role to play, and it’s up to her whether she wants to respond. Some people don’t make the difference between good and bad. Is it worth always taking things so far?”
“When someone hits you, you don’t hit back, you don’t insult the person who’s hitting and insulting you. But now we find ourselves in a world—in certain places—where we no longer know if we’re making a mistake by not getting involved. Sometimes we have to say to the child: ‘If he hits you, you can hit back. But it’s not a good thing.’”
Akim is in CM2 [fifth grade]. “The teacher quickly gets irritated when we make a mistake, even though she herself says it’s no big deal to make a mistake. Easy to say but not easy to do.”
“She’s there to transmit knowledge, not to love you,” Akim’s father reminds him. “He’s been first in his class since kindergarten, but in middle school, he’ll have several teachers.”
Ahmed turns back to his son. “It’s up to you to manage that, because you can’t change people’s temperaments.”
Akim: “She screams straight away, without knowing why.” Then: “You’ve got to understand, she takes the TGV [high-speed train] every day from Lille; she gets up really early.”
Akim wants to become an IT engineer. The catalyst was a virus on the family computer: “I already knew what a RAM file was for, except I didn’t know where to install it.”
I note his explanations with increased attention: “In order to be sure it works, you have to click on your computer’s ‘properties’ tab.”
Up to that point, Akim’s explanations are clear. It’s only afterwards that things get complicated: “Two gigs of RAM came back.” “You have to type ‘dir/s’…Before, that was called ‘com,” and so there were a lot of viruses.”
Ah! I’m trying my best to understand Akim, but it’s as though he is speaking to me in another language.
“Now it’s called ‘exe,’ and so there are fewer viruses. It’s more secure.”
“Ok! And how did you figure that out?”
“On some internet forums. But there weren’t many responses. I like it when things are difficult, without being impossible.”
Of course! For the twenty years that the computer has been my almost-daily work tool, I’ve only just understood that there aren’t any leprechauns inside making it function.
I make a mental note to stay in touch with Akim in case of a future hitch…
Beyond its artistic dimension, Visages d’en Faces has turned into a real tool for social unity. A festive event was held for local residents and charity organizations at the new Rosa Parks train station in Paris’ 19th arrondissement.
The project has since expanded to other places: read more on the site above or the Facebook page.