par Régis Taranto
Contrairement aux idées reçues, il n’y a pas de pensée unique car sinon nous ne pourrions à aucun moment suggérer une pensée divergente. Il existe en revanche une pensée dominante. Elle a un nom : c’est la pensée qui encense la mondialisation libérale.
La pensée politique majoritaire n’est pas une norme immuable mais une domination à un moment donné d’une idéologie. Or, pour penser autrement, il faut faire émerger justement une nouvelle pensée encore anomale (qui ne correspond pas à la norme) qui viendra prendre la place de la norme actuelle.
Sur quelle base transformer la pensée ? La pensée défendue par Macron et ses admirateurs est une pensée, à juste titre controversée, mais indéniablement moderne car elle reprend simplement les codes et la grammaire d’un nouveau modèle économique qui a porté le capitalisme a un stade avancé. Transformer en profondeur cette pensée pour améliorer le sort de l’humanité impose nécessairement de transformer en amont les mentalités. Parfois, l’opération sera violente, parfois, elle sera culturelle, voire institutionnelle si le vote peut remplacer à temps pacifiquement la colère de la rue. Mais dans tous les cas, il ne s’agit pas de chercher un modèle dans le passé, dans la réaction, mais plutôt d’inventer un modèle de pensée qui s’inspire du mieux de ce que l’on a déjà pour l’orienter autrement.
L’esclavagisme, la colonisation… étaient des phénomènes encore totalement normaux au siècle dernier. Aujourd’hui, beaucoup plus d’individus ont rayé ces conceptions tragiques de leur sphère de pensée « normale ».
Ni Macron, ni Le Pen ne sont des monstres en tant que personnes défendant des pensées. En revanche, si Macron pose les siennes sur un socle contemporain, Le Pen défend des idées qui nous font tout simplement faire un bond en arrière.
Oui, il y a un enjeu le 07 mai 2017 qui va au-delà du vote politique. C’est aussi un moment où la pensée doit choisir à quelle étape de la vie humaine elle se situe. Veut-on revenir en arrière et refaire perdre du temps à cette même progression de la pensée en s’interrogeant sur la possibilité de races différentes ? Sur les bienfaits de l’isolationnisme national ? De l’infériorisation des femmes ? Ne veut-on pas au contraire, partir de l’évolution réelle de la pensée à partir du point où la mondialisation libérale l’a conduite, même de manière insatisfaisante ?
La mondialisation en soi n’est pas que souffrance. Internet a permis de créer plus qu’aucun autre système la véritable possibilité d’une internationalisation dont les gauches, d’ailleurs, peinent à repenser leurs modèles pour concrétiser leur vœu pourtant séculaire d’internationalisme. L’Europe, en ce qui concerne la France, a permis à des milliers de jeunes de rencontrer leurs voisins et de créer des liens forts et durables qui sont de meilleurs remparts contre les guerres que nos ambassadeurs dans leurs tours d’ivoire. L’Euro tant décrié, nous permet chaque jour de comparer les niveaux de vie réels entre les individus à l’échelle de L’Europe et de stigmatiser plus judicieusement les dysfonctionnements du marché libéral.
La nouvelle pensée dominante à laquelle j’aspire, c’est celle qui prendra l’être vivant (humain comme animal) dans sa dimension inviolable du droit à exister sans souffrir. La pensée repensera les rapports de forces en déconstruisant progressivement les mécanismes froids et inhumains de nos bureaucraties qui tuent le vivant.
Macron n’est pas le génie du mal libéral pas plus que Le Pen ne serait l’incarnation du démon fasciste du XXe siècle, c’est donner bien trop d’importance à l’individu sur la collectivité. Mais si l’un offre un cadre permettant la résistance et la progression de la pensée, l’autre nous fait reculer de plusieurs décennies à une époque où l’urgence climatique et écologique démontrent l’aspect catastrophique et irréversible d’une telle démarche. Une pensée moderne, c’est celle qui s’insurge au nom de l’écologie contre Monsanto, pas celle qui doit encore justifier que l’accueil d’un réfugié politique n’est pas l’ouverture aux barbares étrangers.
Le 07 mai, il n’y a pas à tergiverser. Il ne s’agit pas de faire des calculs politiciens scabreux, ni de mettre dans le même sac les pensées en espérant béatement que l’avenir viendra gommer les aspérités naturellement. Si le visage de Marine Le Pen apparaît sur les écrans dimanche 07 mai, nous aurons décidé collectivement de faire une sorte de retour en arrière en donnant aux pensées les plus affreuses un pouvoir encore inédit.
Quant aux intellectuels, politiques et philosophes, qui appellent à l’abstention et qui prétendent que tout n’est que mascarade ou qui se cachent au nom d’idées plus justes et plus vraies, ils oublient peut-être que les humains n’aspirent pas à des concepts philosophiques abstraits de bonheur ou à des pensées qui les divisent systématiquement en les exhortant chaque seconde à lutter, à combattre, à détester l’autre… mais au contraire à des idées qui inspirent, qui poussent à la création, qui idéalise la vie en commun.
Il n’y a pas plus de vérité dans le discours d’un idéologue humaniste que dans celui d’un ouvrier qui souffre et qui vote Le Pen. Car sa douleur est réelle et elle ne peut être portée sur le discours intellectualisé d’une société meilleure qu’on construira pour lui s’il vote bien. Il faut construire avec ce même ouvrier cette nouvelle société et l’intégrer à la pensée créatrice. Mais pour y parvenir, il faudra sans relâche, chacun à son petit niveau sociétal, défendre gaiement (car la vie en commun doit inspirer la joie avant tout) de nouveaux modèles de pensées sur le difficile terreau froid et cruel du capitalisme.
Mais ces idées n’auront aucune chance de fleurir dans le fumier non fertile de pensées déjà pourries jusqu’aux racines et que propose la candidate du Front National.
La liberté de pensée le 07 mai au soir n’a qu’un candidat. La pensée plus juste en a des millions qu’il faudra commencer à fédérer le 08 mai nécessairement autour d’autres représentants qui ne représenteront plus la pensée égoïste mais celle du vivre ensemble en toute liberté, égalité et fraternité.
Européen dans le cœur et internationaliste dans les idées, Régis Taranto recherche sans relâche le partage entre les peuples et revendique le droit à la différence. Parce que nous sommes tous différents, aucun système ne doit nous soumettre à une identité unique. Nous sommes des identités, tous différents mais tous unis dans la différence.
Post-election thoughts: What comes after May 7?
English translation by Christine Buckley
Contrary to accepted ideas, there is no such thing as a unique mode of thought. If there were, we could not, at any moment, suggest a divergent view. On the other hand, there is such a thing as a dominant way of thinking. It has a name: the doctrine that showers praise upon free-market globalization.
The political point of view of the majority is not an unchangeable standard but rather the influence of a certain ideology at a given moment. And yet, in order to think differently, we need to bring about the emergence of a new mode of thought, still anomalous, that will come to take the place of the current standard.
On what basis can thought be transformed? The philosophy defended by Macron and his admirers is a way of thinking, an understandably controversial yet undeniably modern one, for it simply picks up the codes and grammar of a new economic model that has brought capitalism to an advanced state. Deeply transforming this way of thinking in order to improve humanity’s lot first requires a transformation in mentality. At times, the operation will be violent while at other times it will be cultural or even institutional—if the voting process is able to peacefully replace the anger in the streets before it is too late. But in any case, it’s not a question of seeking a model from the past, by reacting, but instead of inventing a new thought model that takes its inspiration from the best of what we already have in order to orient ourselves differently.
Slavery and colonialism were phenomena still considered completely normal during the last century. Today, many more individuals have struck these tragic conceptions from their sphere of “normal” thinking.
Neither Macron nor Le Pen are monsters, as much as they are individuals defending certain ideas. However, while Macron puts his own ideas up on a contemporary pedestal, Le Pen defends concepts that will, quite simply, force us to take a leap backward.
Yes, there’s something at stake on May 7, 2017 that goes beyond a political vote. It’s also a moment wherein “thought” must choose at which stage of human existence it wants to position itself. Do we really want to turn back the clock and lose more time we could better use to advance our thinking by reconsidering racial differences? Or the benefits of isolationism? The inferiority of women? Wouldn’t we rather start the real evolution of our thinking from this point to which free-market globalization has driven it, even if this place itself is dissatisfactory?
Globalization in itself is not pure suffering. More than any other system, the internet has allowed for the creation of a true internationalization, while the Left struggles to rethink its models in order to give concrete expression to its nevertheless secular desire for internationalism. Europe, as far as France is concerned, has permitted thousands of young people to meet their neighbors and to create strong and enduring links that are better ramparts against wars than our ambassadors in their ivory towers. The oft-disparaged euro allows us, on a daily basis, to compare real standard-of-living levels between individuals at the European level and to more judiciously condemn the dysfunctional aspects of the free market.
The new way of dominant thinking to which I aspire is one that will take into account all living beings (human and animal) in their inviolable right to exist without suffering. This thought system will re-envision relations based on force by progressively deconstructing the cold and inhuman mechanisms of our bureaucracies, which kill living beings.
Macron is not the genie of free-market evil any more than Le Pen is the incarnation of the 20th century’s fascist demon: saying so grants too much importance to the individual over the community. But while one offers a frame that permits resistance and the evolution of our thought process, the other pushes us back several decades, in an era when the urgency of our ecological and climatic reality clearly demonstrates the catastrophic and irreversible effects of such a step. A modern thought system is one that revolts in the name of ecology against Monsanto, not one that still has to explain why welcoming a political refugee does not translate into opening the borders to “barbaric foreigners.”
On May 7, there can be no equivocation. It’s not a question of calculating which politician behaved worse than the other, nor of putting one’s thoughts in the same basket while hoping beatifically that the future will come and erase the rough patches on its own. If Marine Le Pen’s face appears on our TV screens Sunday May 7, we will have collectively decided to go backwards by granting the ghastliest thoughts a power hitherto unknown.
As for intellectuals, politicians and philosophers calling for voter abstention and who maintain that everything is a masquerade or who hide behind the mantle of the most truthful and just ideals, they may be forgetting that human beings do not aspire to abstract philosophical concepts like happiness or to thought systems that systematically divide them while urging them at every second to struggle, to fight, to hate one another…but on the contrary, to ideas that inspire them, that push them to create, that idealize communal life.
There is no more truth in the discourse of a humanist ideologue than there is in the words of a suffering laborer who votes for Le Pen. Because his or her pain is real and it cannot be borne by an intellectualized discourse about the “better society” we’ll construct for them if they vote “well.” We need to build this new society with this same working-class person and integrate her into the creative thought process. In order to get there, we have to, without respite and each at his or her own small and societal level, merrily defend (because communal life should inspire joy above all) and dig out space for the new ways of thinking in this difficult, cold and inhospitable soil that is capitalism.
But these ideas won’t have any chance to flourish in the infertile pile of thought manure – rotten to the roots – proposed by the National Front’s candidate.
On May 7, 2017, freedom of thought has only one candidate. Beginning on May 8, the millions of us who believe in a fairer thought system have to come together and elect representatives who will no longer stand for the selfish mode of thought but will instead speak up for an existence in which we can live together in true liberty, equality and fraternity.
European at heart and internationalist by virtue of his ideas, Régis Taranto is relentlessly searching for ways to bring people together and stands for our right to be different. Because we are all different; no system should be able to subject us to a singular identity. We are identities, all different and all united in this difference.